Les documents sur les recluseries sont rares et l'institution elle-même est l'une des plus curieuses du moyen âge. Les recluseries étaient de petites loges situées à l'entrée des bourgs ou des villes, hors de l'enceinte et souvent sur des ponts. La personne qui consentait à s'y enfermer, y vivait seule et n'en sortait qu'à l'état de cadavre. La Recluse ( ou le Reclus ) avait pour fonction de prier Dieu pour épargner à la cité tous les maux de l'époque ( troubles, guerres, famines, épidémies... ).
L’aspiration au sacrifice, l'utilité de la souffrance pour obtenir les récompenses célestes ont fait germer les recluseries. Leur raison d'être particulière semble être le besoin, pour les agglomérations, d'avoir une protection surnaturelle contre les dangers qui les entouraient. Tant que la sentinelle avancée prie dans la cellule, aux portes de la ville, celle-ci ne peut périr.
Le solitaire est plus près de Dieu. Les recluses ne furent qu'une variété d'ermites mais avec quelles différences ! L'ermite n'est pas réduit à converser à travers une grille avec ceux qui veulent bien lui faire l'aumône de la parole. Il sort quand il lui plaît, va où il lui convient d'aller.
Combien plus dure est la séquestration dans un cube de maçonnerie de quelques pieds carrés, sans exercices et sans espoir d'en sortir vivante. Le froid envahissant dont on ne peut se défendre, les membres ankylosés, l'impossibilité de s'y mouvoir, l'humidité et l'étroitesse du lieu sont le quotidien des conditions de vie de la Recluse.
La Recluse, frappée d'un mal subit, attendra la fin, de longues nuits durant dans sa loge. Elle sera trouvée sans vie au matin, sans secours possible tellement ses plaintes auront été couvertes par les hurlements de la tourmente.
Elle n'a de nourriture que celle qu'on voudra bien lui porter. La lente torture de la réclusion solitaire exige avant tout une foi profonde et austère pour aller jusqu'à la démission complète de soi en vue de la mort, sainte et désirée.

Plus près de Dieu pour le salut des hommes

À Saint-Flour, la clientèle du reclusage du pont Sainte-Christine se trouve parmi le peuple et surtout parmi celui de la classe moyenne.  Les reclus et recluses étaient très vénérés. Le Reclus est la fleur de sainteté. Le respect dont ils étaient entourés était fait pour encourager les vocations. 

La recluserie était souvent située à l'entrée du pont, sur le pont ou près de ce dernier.  Le pont jeté sur la rivière de l'Ande constituait le premier obstacle que rencontrait le voyageur du XIVé siècle en arrivant du nord-est, au pied de Saint-Flour.  Une tour à cheval sur le pont en défendait l'entrée. Du coté opposé, une solide pore à barres et à deux vantaux, fermée la nuit en tout temps et le jour à la moindre alerte, en interdisait l'accès. Un poste d'archers ou d'arbalétriers municipaux occupait la tour quand l'ennemi était proche. Une famille dont la demeure confinait à la porte avait la charge héréditaire de sa garde et de son entretien. 

Le reclusage construit sur le pont, entre la tour et la porte, au-dessus de la seconde pile, était donc bien gardé.  Son voisinage religieux ne laissait rien à désirer non plus.

À droite de la barrière du pont, en venant de la ville, s'élevait l'église dédiée à Sainte-Christine, patronne du faubourg. Toute proche, sur la place de l'église, se trouvait la " Maison du Saint-Esprit ". Par sa minuscule fenêtre grillée ouvrant sur le pont, la Recluse pouvait entendre le chant des offices. 

Si la situation de la cellule n'était pas trop mauvaise du point de vue de la sécurité, elle était hygiéniquement déplorable en un pays où les hivers durent six mois, sont marqués de chutes de température pouvant descendre jusqu'à 30° degrés au-dessous de zéro et sont suivis d'interminables dégels de jour alternant avec les gelées nocturnes. 

La Recluse, confinée dans cette case, était tour à tour prisonnière des brouillards aux mi-saisons, étourdie par le mugissement des rafales de pluies et de vent qui descendaient du Plomb du Cantal et s'engouffraient dans le couloir de l'Ander profondément encaissé. La cellule était alors la proie d'une bise glaciale jusque dans le lit-armoire. Elle faisait vaciller les bougies, trembler les fenêtres et les volets fermés et transperçait les murailles humides. 

Pendant les dégels et les fortes crues, l'Ander inondait souvent le faubourg. Transformé en torrent, il heurtait avec fracas les assises du pont et montait presque jusqu'au sommet de ses arches. La Recluse se trouvait ainsi coupée de toutes parts durant les débordements. Tantôt transie par le vent, tantôt assoupie et recroquevillée par les froids de la nuit, frissonnant de fièvre, elle restait là, immobile, attendant la fin. 

À l'intérieur, le cabanon pouvait mesurer sept mètres carrés. Une pièce munie d'une cheminée au rez-de-chaussée et d'un grenier, composait le logement. 

La Recluse se chauffait ordinairement avec du charbon de terre, quelques bourrées de fagotage ou le résidu du four banal, placé dans un brasero de pierre ou de cuivre. Une petite baie sans vitres, fermée de quelques lambeaux de cuir ou d'étoffe en guise de rideaux, garnie de barreaux de fer, close par un volet à l'intérieur, apportait un peu de lumière au levant.

Elle était assez large pour faire passer les vivres, les vêtements, les ustensiles. L'encadrement de la porte était bouché par une bâtisse à chaux et à sable.  Un retrait, sur l'un des cotés de la muraille, formait une alcôve boisée pour le lit où la Recluse enfermait ses hardes et s'en servait comme d'un escabeau pour y monter. La loge était couverte de tuiles creuses du pays. 

Les recluseries recevaient indistinctement hommes ou femmes, les plus méritant l'emportant. Le plus souvent, il s'agissait de femmes. Elle semblaient y résister davantage et pourtant, elles n'y duraient guère. On ne s'étonnera donc pas que l'hôte de ce tombeau y vécût peu. 

L'inaction jointe à l'humidité avait tôt fait de dissoudre les tempéraments les mieux trempés et tout reclus pénétrant en ce lieu, se vouait sciemment à une mort prochaine. 

Presque tous les reclus et recluses de Saint-Flour étaient des veufs ou des veuves ayant des enfants majeurs. La loge trouvait toujours preneur ! 

La date exacte de la fondation du reclusage de Sainte-Christine reste encore inconnue mais il toutefois raisonnable de penser que son origine ne ne remonte guère au-delà du milieu du Xlè siècle.

L'évêque Pierre d'Estaing, seigneur de la ville, fait mention, dans une ordonnance du 24 mars 1371, de l'existence de la maison de la Recluse, située sur le pont de Sainte-Christine. L'établissement fût donc vraisemblablement fondé dans le courant du XIIè siècle. 

La " Recluse " de Saint-Flour appartenait à la municipalité. Il fallait être de Saint-Flour pour être admis au reclusage du pont. Les guerres de religion détruisirent la recluserie. 

Avec l'aimable autorisation de Glibert Claviller
RERS Haute-Auvergne - Saint-Flour