Château des Ducs de Bourbon - Moulins (Allier)
Château des Ducs de Bourbon - Moulins (Allier)
Anne de France, fille de Louis XI et duchesse de Bourbon, est l’une des personnalités les plus fascinantes du Moyen-Âge. Tête politique au sommet du pouvoir pendant de nombreuses années, mécène active et avisée, grande éducatrice et écrivaine talentueuse, elle demeure néanmoins méconnue. Une femme de l’ombre ayant « mis autant de soin à cacher le pouvoir que d’autres le mettent à le montrer » (Michelet)

L'art subtil de la dissimulation

Anne de France naît en 1461 au château de Genappe dans les Flandres. Elle est l'aînée d'un fratrie de trois enafnts : Jeanne née en 1464 et le futur Charles VIII, né en 1470.

Mariée à l’âge de douze ans à Pierre de Beaujeu, de vingt ans plus âgé qu’elle, la princesse reste très proche de son père. Observer Louis XI est pour Anne le meilleur des apprentissages. Elle développe un même instinct politique très sûr. Le roi reconnaît les qualités de sa fille aînée, qu’il décrit comme la femme la « moins folle » de son royaume.

Louis XI, craignant que certains profitent de sa faiblesse pour lui arracher le pouvoir et saccager toute son œuvre, prend ses précautions et confie à Anne et Pierre, l’éducation et la conduite de Charles qui n’a que 13 ans.


Louis XI
Louis XI
Pierre II de Beaujeu
Pierre II de Beaujeu
Fille aînée du roi, un handicap dans cette France alors régie par la loi salique, Anne doit pourvoir à l’éducation de son frère Charles VIII, trop jeune pour régner. Elle ne peut s’appuyer sur son mari, pourtant plus âgé, car il ne compte pas parmi les plus grands princes du royaume.
Contre toute attente, Anne va imposer son autorité avec une subtilité qui force l’admiration.

Face aux machinations et coalitions de grande ampleur, fomentées par le Duc d’Orléans se considérant comme l’hériter légitime du trône, Anne de Beaujeu, plus habile, plus diplomate, parvient à étouffer toute velléité de soulèvement sans verser une seule goutte de sang. Un triomphe pour le duc et la duchesse de Bourbon.

Anne peut désormais poursuivre sereinement l’œuvre de son père, qui s’est attaché à réunifier les provinces françaises. Elle réalise son coup de maître lorsque, après la mort du duc François II de Bretagne, elle impose le mariage de sa fille et héritière, la jeune duchesse Anne, avec Charles VIII. L’union, célébrée en 1491, permettra à terme de rattacher définitivement la très convoitée Bretagne au royaume de France.

Maîtrisant comme Louis XI, l’art subtil de la dissimulation, Anne, que le peuple appelle « Madame la Grande » continue à gouverner dans l’ombre tout en laissant, en public, la préséance au jeune couple.

Une cour royale en Bourbonnais

Pierre et Anne deviennent duc et duchesse du Bourbonnais en 1488. Moulins, capitale administrative du duché, offre un château imposant, largement remanié par Louis II de Bourbon entre 1366 à 1375 avec fossés en eau, quatre ailes, une cour intérieure et une tour monumentale maîtresse de 47 mètres dominant l’ensemble.

Anne le transforme en un palais luxueux et le fait agrandir par une nouvelle aile de 70 mètres de long dans un pur style gothique flamboyant, terminée par une chapelle dédiée à saint Louis.

En 1497, elle y accole un Pavillon destiné à recevoir son frère Charles VIII. Mort l’année suivante, il n’en profitera jamais. Ce pavillon surprend par sa modernité, première construction Renaissance de cette envergure en France. Le style architectural, encore empreint d’une tradition gothique à la française et l’exubérance du décor sculpté, restent typiques du gothique flamboyant.

Non loin de Moulins, Anne tombe sous le charme de Chantelle, dressé sur son promontoire au milieu de la verdure. La duchesse transforme le vieux château, fait reconstruire le monastère primitif et fait édifier son logis contre le prieuré. Par ce logis, elle peut se rendre à l’office sans quitter l’enceinte du château. Chantelle est son refuge.
Le triptyque du "Maître de Moulins" - Cathédrale de Moulins (Allier)
Le triptyque du "Maître de Moulins" - Cathédrale de Moulins (Allier)
Avec Anne, Moulins devient le plus important foyer artistique et littéraire du royaume. Anne protège de nombreux auteurs, peintres, sculpteurs et maîtres verriers.

C’est à elle que l’on doit une œuvre majeure de l’histoire de l’art, le Triptyque du Maître de Moulins, qui représente une vierge en gloire entourée de Pierre II de Bourbon, de son épouse et de leur fille Suzanne.

Cette huile sur bois est considérée comme un chef-d’œuvre, l’aboutissement de la peinture du Moyen-Âge dans toute sa perfection picturale. L’identité de ce mystérieux peintre, nommé dans les archives «

Maître Jehan le peintre » et surnommé le "Maître de Moulins", n’a jamais pu être établie avec certitude.

Les "Enseignements" à Suzanne.

En 1503, Pierre II de Bourbon meurt. Il ne reste à Anne que sa petite fille Suzanne, douze ans, qui devient l’héritière d’une puissante principauté.

Anne met en garde sa fille contre les relations entre hommes et femmes. Le monde est impitoyable. Pour survivre, il ne faut montrer aucune faiblesse et ne confier ses états d’âme à personne.

Elle laisse à sa fille des Enseignements pour la guider, choisissant d’aller à l’essentiel, divisant son texte en 30 chapitres courts et pragmatiques. Elle y décrit les qualités indispensables à posséder. Toutes relèvent de la maîtrise de soi :

Toujours un port honorable, des manières froides et assurées, un regard humble, la parole mesurée, constante et ferme, jamais un propos hésitant”.
Anne de Beaujeu ou Anne de France meurt en 1522, à soixante-deux ans, dans son château de Chantelle où elle vivait retirée depuis plusieurs années. Elle repose au prieuré de Souvigny, tout proche, en compagnie d’autres membre de la famille Bourbon.
Anne de Beaujeu et sa fille Suzanne, représentée sur le triptyque du "Maître de Moulins"
Anne de Beaujeu et sa fille Suzanne, représentée sur le triptyque du "Maître de Moulins"
“Arrivée au pouvoir comme un cheveu sur la soupe, elle avait fait face à la tempête et s’en était tirée avec l’estime de tous.

Devenue duchesse de Bourbon et d’Auvergne, elle avait gouverné ses domaines avec la même habileté. Elle avait par ailleurs posé les premières pierres de la grande cour qui allait désormais caractériser la vie politique française, en rassemblant autour de son frère Charles VIII et des principaux acteurs du gouvernement, un savant mélange de femmes, de savants et d’artistes propre à donner l’envie d’être là, à attirer la grande noblesse […], à constituer une vitrine du pouvoir.

Pour que les femmes appelées à jouer leur rôle dans ce dispositif puissent le faire, Anne de France s’était attelée à leur formation, d’où sa longue réflexion sur l’éducation féminine, sur la manière de se comporter en société. […]

Pour que chacun ressente la supériorité monarchique, elle avait fait bâtir à Moulins un splendide château inspiré des dernières nouveautés italiennes – l’un des premiers du genre en France ; elle y avait rassemblé une bibliothèque impressionnante, appelé des intellectuels, des peintres, des sculpteurs”.
Anne de Beaujeu : du pouvoir aux lettres