lls sont des miliers, dispersés dans Paris et sa très proche banlieue, decendants de ceux qui allèrent dans la capitale tenter une chance que leur terre natale refusait. Fils des mariniers qui venaient jadis par les canaux livrer le charbon des mines auvergnates et que l'on appelait les " bougnats ".
" Ce qui fait l'intérêt de l'Auvergne, c'est qu'elle remplie d'auvergnats " disait Alexandre Vialatte, chroniqueur originaire d'Ambert. Puis il ajoutait : " S'il faut en croire les dernières statistiques, elle en contient même plus que Paris...".

Des miliers d’Auvergnats ou de ressortissants du Massif Central sont ainsi dispersés, çà et là, au hasard des arrondissements de Paris et de sa proche banlieue sous la bannière d'Auvergnats de Paris qu'un journal - leur gazette - réduit volontairement au singulier : " l'Auvergnat de Paris ".

Créé par Louis Bonnet, enfant d'Aurillac, l'hebdomadaire entre avec vigueur dans un nouveau siècle d'existence. Actuellement, situé rue Saint-Fiacre dans le second arrondissement de Paris, non loin du boulevard Poissonnière, l’Auvergnat de Paris tient toujours la barre avec une poignée de journalistes et des centaines de correspondants bénévoles qui lui envoient régulièrement les dernières nouvelles du pays.

Au départ, l'Auvergnat de Paris se donnait comme double mission de rompre l'isolement dont souffraient ces émigrants du centre et de combattre les préjugés dont ils étaient les victimes. Ainsi, tout artiste, chansonnier, auteur dramatique qui utilisait les clichés du genre " fouchtra " s'attirait immanquablement les foudres du journal. L'édito du tout premier numéro donne d'emblée le ton : " Tout pour l'Auvergne ! Tel est notre cri de ralliement. Chanter nos héros, dire ce que furent nos philosophes, nos poètes; se pencher sur le cercueil des morts chers et obscurs, jeter une poignée de leur poussière au grand soleil de Paris qui la fera resplendir et scintiller encore, voilà notre principal but... ".

Dès lors, petites annonces et demandes d'aides en tous genre rempliront les colonnes de l'Auvergnat. Les notables aideront les artisans et en 1904, naîtront les " trains spéciaux Bonnet " qui, avec 40% de réduction, offriront aux lecteurs la possibilité de se rendre de Paris à Aurillac, Thiers ou Langogne.

Les Bougnats... de Paris

Les Auvergnats seront aussi de ceux qui fourniront à Paris leur travail et leur astuce. Les peigneurs de chanvre ouvriront la voie, suivis des mariniers qui descendaient l'Allier et, par le canal de Briare, accostaient sur les quais de Seine. Là, ils vendaient le charbon de Brassac qu'ils transportaient et le bois de leurs bateaux débités en planches. Leurs fils seront bougnats, transformation abrégée du mot " charbonnier ". Les ferrailleurs aussi seront très actifs. Leur présence se matérialise, dès 1789, du côté du faubourg Saint-Antoine où, la Révolution germée, commenceront les grands profits dus à la récupération provenant notamment de la liquidation des palais royaux et de la démolition de la Bastille.

Descendant de l'un de ces aventuriers des vallées de la Jordanne, de la Maronne et du Falgoux, le pape de la brocante parisienne est encore Auvergnat. Marcellin Cazes, qui devait donner son prestige à la brasserie ‘’Lipp’’, est d'une manière représentatif de l'aveyronnais modeste passé par acharnement et débrouillardises de toutes sortes de Laguiole au boulevard Saint-Germain. Frotteur de parquets et porteur d'eau, il le fut, la tâche consistant à apporter sur commande et chez le client, une baignoire de cuivre et l'eau à bonne température pour la remplir.

Pareillement, Paul Chambon, à peine débarassé de sa blouse paysanne, lançait la brasserie ‘’Le Dôme’’ à Montparnasse, non loin de celle de ‘’La Coupole’’, laquelle fût batie sur un dépot de bois et de charbon. Aux carrefours de la rive gauche les Auvergnats créèrent aussi ‘’Le Flore’’ et ‘’Les Deux Magots’’.

Mais les Auvergnats préfèrent semblent-ils la Bastille et ses quartiers avoisinants. Ainsi, dans un bal de la rue de Lappe, en 1905, le joueur de cabrette Bouscarel, aidé il est vrai par l'accordéoniste italien Perugi, invanta le musette. À deux pas, le restaurant ‘’Les Grandes Marches’’, proche de la Bastille, feuillette avec orgueil son passé : ici, naquit en 1938, l'ère du " croissant chaud maison à toute heure ".

Et toujours l'astuce, celle qui permit aux Auvergnats d'être, en des lieux appelés " vacheries ", les seuls laitiers-nourrisseurs de Paris. La traite et la distribution y étaient assurées très tôt, à l'heure dite depuis du laitier.
Les Auvergnats ont chauffé Paris tout autant qu'ils l'ont nourrie et divertie. " La France, c'est l'Auvergne et quelque chose autour " prévient ce patron d'un bar à vin de la rue Léon Frot. Après ce vagabondage, on n'oserait effectivement en douter.

Et pour conclure, laissons Vialatte à ces quelques mots : " L'Auvergnat de Paris descend de ses grands-pères. Peu de gens descendent encore de leurs grands-pères. L'Auvergnat fait exception ".